| 
                                  
                                 
                                Dynamique des groupes  
                                le changement 
                                
                                 
  
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                 
                                Les groupes participatifs facilitent le changement 
                                 
                                
                                
                          L'introduction de changements 
                            - et même de simples projets d'innovations - 
                            soulève initialement des résistances 
                            souvent considérables.  
                          En effet, nous avons vu précédemment 
                            que le groupe génère une tendance puissante 
                            au conformisme.  
                          Paradoxalement, la Dynamique des Groupes va pourtant 
                            démontrer, mais dans des conditions bien particulières, 
                            que le groupe peut agir comme un puissant facilitateur 
                            du changement. C'est ce qui apparaît dans les 
                            groupes participatifs.  
                         
                        
                                Les expériences 
                        
                                 
                          Deux expériences célèbres ont 
                            mis en évidence le rôle du groupe dans 
                            l'acceptation des changements. De nombreuses autres 
                            études en ont confirmé les conclusions. 
                           
                           1 
                            - La première expérience 
                            a été conduite par 
                            LEWIN lui même. 
                          
 En 1943, après l'entrée en guerre des 
                            Etats Unis, des risques de pénurie alimentaire 
                            sont apparus. On a alors pensé que si on parvenait 
                            à augmenter la consommation d'abats, jusqu'alors 
                            méprisés par les ménagères, 
                            il serait posible d'éviter le rationnement 
                            des autres morceaux. 
                           Sollicité par les services officiels, LEWIN 
                            eut l'idée de comparer deux moyens d'intervention 
                            en faveur de la consommation des abats, dans le cadre 
                            de clubs féminins où se réunissaient 
                            régulièrement les ménagères 
                            des petites villes. 
                           D'une part, on prépara 
                            des conférences 
                            portant sur les mérites nutritifs 
                            des abats et sur les moyens culinaires permettant 
                            d'améliorer leur présentation. 
                           D'autre part, on organisa 
                            des exposés-discussions où, après 
                            une information plus brève, les femmes étaient 
                            invitées à poser des questions et à 
                            discuter entre elles 
                            des essais possibles sous la conduite d'un 
                            animateur. 
                           A l'issue de cette expérience, on constata 
                            que la consommation d'abats 
                            avait augmenté de 30% chez les ménagères 
                            participant au second groupe alors qu'elle 
                            n'avait progressé que de 3% chez celles du 
                            premier groupe. 
                           2 - La seconde expérience 
                            a été réalisée par COCH 
                            et FRENCH (Overcoming resistance to change. Reading 
                            in soc-psych., Holt 1952). 
                           De nouvelles machines devaient être installées 
                            dans une importante usine textile. Le schéma 
                            expérimental retenu comportait 3 
                            groupes de travail qui avaient la même 
                            productivité avant le changement. 
                           Dans le groupe G 0, 
                            dit de contrôle, on procède comme de 
                            coutume dans l'entreprise: c'est à dire que 
                            le jour venu, on se borne à expliquer aux ouvriers 
                            l'usage des machines en les incitant à faire 
                            de leur mieux, tout en leur annonçant que les 
                            nouvelles normes seront établies par le service 
                            compétent. 
                           Dans le groupe expérimental 
                            G 1, après avoir exposé les 
                            raisons du changement technique, on invite les travailleurs 
                            à désigner des délégués 
                            qui participeront avec le Service des Méthodes 
                            à la fixation des normes après une phase 
                            d'essai. 
                           Dans le groupe G 2, 
                            c'est le groupe dans son entier qui est convié 
                            à collaborer à l'établissement 
                            des normes. 
                           Il s'ensuit donc trois niveaux de participation au 
                            changement: nulle, indirecte, directe et on va observer 
                            ce qui se passe en ce qui concerne le rendement et 
                            le moral de chaque groupe. 
                           En ce qui concerne le rendement, 
                            on constate d'abord un brusque affaissement dans tous 
                            les groupes pendant les premiers jours; mais seul 
                            le groupe G 0, où il n'y a aucune participation, 
                            ne parvient pas ensuite à retrouver la norme 
                            antérieure, alors que les deux autres groupes 
                            (surtout G 2) retrouvent et dépassent bientôt 
                            cette norme. 
                           Quant au moral, on constate dans le groupe de contrôle 
                            G0 un vif mécontentement, traduit par le départ 
                            de deux ouvriers et de nombreuses réclamations. 
                            Dans le groupe expérimental G 1 le moral est 
                            assez satisfaisant malgré certaines inquiétudes 
                            et discussions. Dans le groupe G 2 le moral est excellent 
                            et aucun problème ne se fait jour.  
                              
                          
                        
                                Comment ça se passe? 
                        
                                 
                          Comment expliquer cet avantage incontestable de la 
                            discussion de groupe et des décisions collectives? 
                           
                          D'abord le degré d'implication des personnes 
                            conviées à une discussion est plus intense 
                            que lorsqu'ils se contentent de lire une brochure 
                            ou d'écouter une conférence; les membres 
                            d'un groupe de discussion sont plus actifs, se sentent 
                            plus directement concernés et surtout plus 
                            profondément engagés lorsqu'ils prennent 
                            une décision collective. En outre, comme ils 
                            peuvent s'exprimer plus librement, plus spontanément, 
                            l'animateur saisit mieux les réserves, les 
                            obstacles, les difficultés diverses qui surgissent 
                            en face de ses informations et il lui est possible 
                            d'en tenir compte. 
                           Alors que l'entretien individuel ou la propagande 
                            de masse laissent l'individu dans une situation solitaire, 
                            seul aux prises avec ses hésitations et ses 
                            velléités, la discussion est capable 
                            de susciter un mouvement collectif d'évolution 
                            des attitudes. 
                           Mais ANZIEU (3), à propos de l'expérience 
                            de LEWIN sur la consommation d'abats, apporte une 
                            explication appuyée sur la psychanalyse. 
                              ""De tous ces bas morceaux se dégage 
                            pour la ménagère une impression vague, 
                            diffuse que l'analyse psychologique décomposerait 
                            en représentations visuelles et tactiles des 
                            morceaux de sein et de sexe, empoignés, découpés, 
                            sucés et dévorés, sur lesquels 
                            flottent le fumet âcre, attirant et défendu 
                            des sécrétions urinaires et sexuelles 
                            et la menace d'un bain de sang en guise de châtiment. 
                              Les noeuds psychologiques touchés 
                            par ces bas morceaux, dont le nom même fait 
                            penser au "bas" du corps - la zone du plaisir, du 
                            mystère et du sale - sont ceux du sevrage et 
                            de la castration et du danger des désirs "bas", 
                            liés aux parties érogènes du 
                            corps. 
                              A mots couverts, c'est tout cela 
                            qui a été discuté dans ces petits 
                            groupes de ménagères; ces questions 
                            qu'on n'aborde jamais, qu'on garde pour soi seule, 
                            elles les ont mises en commun, se découvrant 
                            semblables sur ce point. Leur groupe n'a pu être 
                            la mise en commun des raisons - patriotiques, budgétaires, 
                            caloriques et gastronomiques - de consommer ces morceaux 
                            que parce qu'au préalable, il avait été 
                            la mise en commun des fantasmes, des angoisses, des 
                            émois associés chez chacune à 
                            ces morceaux." 
                           Cependant, pour ANZIEU,"il ne semble nullement conforme 
                            aux faits de conclure que, les problèmes fantasmatiques 
                            étant dénoués, le groupe passe 
                            sur le plan rationel et peut se livrer à des 
                            activités objectives et adaptées. En 
                            effet, il y a toujours une vie fantasmatique dans 
                            un groupe." Mais son contenu peut changer. 
                           Quoi qu'il en soit, cet éclairage du psychanalyste 
                            apporte un correctif à l'explication raisonnable, 
                            mais valide bien la thèse initiale de l'efficacité 
                            du groupe participatif pour la modification des comportements. 
                             
                              
                          
                        
                                Les conditions de l'intervention
                        
                                 
                          Pour introduire un changement 
                            dans un groupe, LEWIN propose de conjuguer deux méthodes: 
                            soit argumenter dans le sens du changement, soit diminuer 
                            les résistances envers ce même changement. 
                            Pratiquer exclusivement la première méthode 
                            aboutit presque toujours à des tensions, des 
                            conflits plus ou moins vifs. Il faut donc y associer 
                            la seconde méthode.  
                          Comme nous savons que l'une des principales sources 
                            de résistance au changement, c'est la crainte 
                            de s'écarter des normes traditionnelles. Si 
                            les membres des groupes sont amenés à 
                            admettre ensemble la mise en question de ces normes, 
                            le processus d'évolution est amorcé. 
                           Mais il faut savoir qu'une intervention à 
                            d'autant plus de chances de mordre, qu'elle s'appuie 
                            au départ sur certaines tensions latentes existant 
                            déja au préalable dans le groupe. C'est 
                            pourquoi une analyse préalable soigneuse du 
                            contexte est dans tous les cas nécessaires. 
                          
                        
                                 
                          A ces conditions, l'intervention participative a 
                            prouvé son efficacité.  
                              
                         
                        
                                Limites et précautions
                        
                                 
                          Un certain nombre de sociologues, comme Michel CROZIER, 
                            ont cependant souligné les fréquentes 
                            difficultés que rencontre ce type de démarche, 
                            en particulier dans les entreprises.  
                          Tout d'abord, de tels changements sont rarement proposés 
                            spontanément et inconditionnellement par les 
                            détenteurs de l'information et du pouvoir, 
                            qui doivent abandonner alors une sorte de zone réservée, 
                            susceptible de transformer plus ou moins le système 
                            de pouvoir lui même (par exemple, c'est la crainte 
                            que les travailleurs conviés à coopérer 
                            puissent être enclins à mettre en question 
                            non seulement les méthodes de travail, mais 
                            la politique même de l'entreprise). 
                         
                        
                                 
                          D'autre part, pour des raisons symétriques, 
                            les travailleurs eux-mêmes ne sont pas automatiquement 
                            disposés à adhérer d'emblée 
                            à n'importe quelle proposition de participation 
                            et les réticences sont fréquentes.  
                          Certes, la participation exerce toujours un certain 
                            attrait, mais les subordonnés craignent la 
                            restructuration des "zones d'incertitude" dont ils 
                            tiraient jusqu'alors un certain contre-pouvoir.  
                          Pratiquement, il est plus facile de conserver une 
                            marge d'indépendance quand on reste à 
                            l'écart des décisions ou même 
                            de leurs modalités d'application, que quand 
                            on participe à leur élaboration. Lorsqu'on 
                            discute, on se trouve mêlé à l'action 
                            collective et, par suite, plus vulnérable envers 
                            les pressions des supérieurs et même 
                            des collègues.  
                          De ce fait, les membres d'une organisation acceptent 
                            rarement de coopérer sans obtenir des contreparties; 
                            autrement dit, ils cherchent en général 
                            à "négocier" leur participation ou à 
                            la différer si les bases de cette négociation 
                            sont absentes ou incertaines. En ce cas d'autres attitudes 
                            que la participation peuvent paraître préférable 
                            à l'individu ou au groupe; surtout s'il a le 
                            soupçon que la coopération proposée 
                            reste très partielle et peut cacher une forme 
                            subtile de manipulation.  
                              
                         
                        
                                Les phénomènes d'extrémisation
                        
                                 
                          En FRANCE, Serge MOSCOVICI (6) a révélé 
                            la part possible d'une influence minoritaire, non 
                            seulement dans l'évolution des attitudes mais 
                            jusque dans la prise de décisions.  
                          "Tout dépend de l'implication des gens, 
                            de l'intensité du conflit, du contexte où 
                            il éclate et de la manière dont on le 
                            traite. Tantôt on cherche à éviter 
                            le conflit ou à l'étouffer en imposant 
                            l'autocensure ou en faisant taire les dissidents; 
                            tantôt on donne à chacun la possibilité 
                            de s'exprimer et d'interagir. Plus le groupe est formel, 
                            plus le conflit est atténué et plus 
                            on cultive le compromis. Inversément dans les 
                            discussions informelles les positions extrêmes 
                            sont prises en compte et il arrive que le groupe s'oriente 
                            vers les solutions de la minorité. Toutefois 
                            l'extrémisation ne se produit pas dans n'importe 
                            quel sens; lorsqu'elle s'effectue vers la position 
                            minoritaire dans un groupe particulier, elle va dans 
                            le sens d'une tendance prévalente dans les 
                            groupes extérieurs idéologiquement saillants, 
                            sinon dominants... - ce qu'on appelle parfois "l'esprit 
                            du temps", lequel engendre peu à peu par imprégnation 
                            une nouvelle norme. Des expérimentations l'ont 
                            montré, par exemple, à propos des attitudes 
                            envers le pacifisme ou le féminisme (4)." 
                           Serge MOSCOVICI cite un exemple historique de ce 
                            type de phénomène, les évènements 
                            de Mai 1968. 
                            
                             
                               
                                 
                                   
                                 
                               
                             
                             
                               
                                 
                                  (1) "KURT LEWIN, LA DYNAMIQUE DES GROUPES", 
                                    "SCIENCES HUMAINES" n°14, février 
                                    1992 pages 10 et 11. Article de Michel LOBROT, 
                                    professeur à l'université de 
                                    PARIS VIII. 
                                    (2) "PSYCHOLOGIE SOCIALE, TEXTES FONDAMENTAUX 
                                    ANGLAIS ET AMERICAINS", Editions DUNOD, d'André 
                                    LEVY, professeur à la faculté 
                                    des lettres, des sciences de l'homme et des 
                                    Sociétés, à l'Université 
                                    PARIS Nord, VILLETANEUSE. 
                                    (3) "LE GROUPE ET L'INCONSCIENT", Editions 
                                    DUNOD, Collection Psychisme, Didier ANZIEU. 
                                    (4) "LA DYNAMIQUE DES GROUPES", PUF, Que Sais 
                                    Je?, de Jean MAISONNEUVE, Professeur à 
                                    l'Université de PARIS X, NANTERRE. 
                                    (5) "LES GRANDS AUTEURS EN ORGANISATION", 
                                    EDITIONS DUNOD, Collection Economie Module, 
                                    de Jean Claude SCHEID, professeur agrégé 
                                    de Sciences de Gestion à l'Université 
                                    de LIMOGE 
                                    (6) "PSYCHOLOGIE DES MINORITES ACTIVES", Presses 
                                    Universitaires de France 1979  
                                 
                               
                             
                           
                         
 
                                 
                                 
 
                                
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