"Tout échange de
communication est symétrique ou complémentaire,
selon qu'il se fonde sur l'égalité ou
la différence (Axiome n°5 de Paul Watzlwick).”
Revenons un instant à notre problème
de départ, “comment convaincre un interlocuteur?”
La situation serait évidemment idéale
si on se trouvait dans la même position que
le professeur face à une classe désireuse
d’apprendre. Nous serions alors dans un rapport complémentaire
basé sur la différence entre le professeur,
en position haute, et les élèves en
position basse.
Admettons bien vite que cette situation est très
exceptionnelle et qu’elle se rencontre même
assez rarement dans la vie courante.
Fragilité de la position haute.
Dans
la réalité, cette place qui passe pour
idyllique est en fait extrêmement fragile. C’est
ce que montre Jacques Antoine MALAREWICS (17): “Dans
une interaction, la position haute est celle de celui
qui montre la volonté de manifester clairement
sa supériorité sur l’autre. Celui qui
se met, ou qui est mis en position haute est amené
à démontrer qu’il a raison, qu’il comprend
mieux, qu’il explique mieux, bref..., qu’il est le
plus fort. C’est par là même, toujours
dans le contexte de la communication, la position
la plus fragile.”
Comme le dit le proverbe “Plus
vite le singe monte à l’arbre, plus vite il
montre ses fesses”.
Jacques Antoine MALAREWICS insiste fortement sur
l’inconfort de cette position haute. On y subit d’incessantes
attaques et on doit démontrer en permanence
son talent. Alors qu’on sera inévitablement
entrainé sur des terrains où évidemment
on ne sera pas le plus fort. Car l’être omniscient
n’est encore qu’un mythe de la science fiction.
La fin des destinées en position haute, c’est
bien souvent la chute. Les exemples ne manquent pas.
Il est inutile de nous attarder sur le cas -typique-
de Napoléon, mais prenons simplement les présidents
de la Vème république:
Charles De Gaulle
est battu au référendum de 1969 sur
la régionalisation et la réforme du
Sénat. Il se retire en terre Irlandaise.
Georges Pompidou
laisse l’image d’un président provincial qui
n’a pas vu venir la crise pétrolière
de 1973. Le consensus se fait en France à sa
mort sur l’urgence de “réformer”.
Valéry Giscard d’Estaing,
restera longtemps dans nos souvenirs “l’ami de Jean
bedel Bokassa”, le tyran africain.
François Mitterrand
quitte la pouvoir rongé par “les affaires”.
C'est le souvenir de l'homme malade qui le réhabilitera
chez les français
Jacques Chirac, par
contre, a
retrouvé les sommets dans les courbes de sondages
depuis qu'il "la joue modeste".
Enfin, il faudra un peu de temps à Nicolas
Sarkozy avant de retrouver le coeur des
français. Ses promesses étaient manifestement
un peu trop hautes.
Et la présidence normale de François
Hollande semble au contraire assez près
de cette position basse dont nous vantons les mérites
pour ses adeptes.
Bien sûr, l’histoire nuance maintenant son
jugement à l'égard des anciens présidents.
Mais l’image finale qu'ils laissent reste très
en deça de l’image d’espoir d’avant leur élection.
Les avantages de la position basse.
Dans sa “carte du voyageur perdu” (18), Malarewics
conseille donc de se rapprocher -autant que possible-
de la position basse.
C’est “celle de celui qui ne cherche pas à
démontrer sa supériorité sur
l’autre. Au contraire, dans cette position,
il accepte de se placer en retrait avec une certaine
modestie, voire de l’humilité.
Le plus bel exemple qu’on puisse citer est celui
de Jésus Christ. Il ne revendiquera jamais
la première place, celle du père. Il
se contente de la seconde, celle du fils. Toute sa
vie il cherche une place encore plus humble que celle
des plus humbles: il lave les pieds des mendiants.
Il perd son procès et meurt sur la croix après
le calvaire. Sa renommée dans les siècles
suivants n’aura évidemment rien de comparable
avec celle de son bourreau.
Dans un registre très différent, Raymond
Poulidor, souvent second dans les courses cyclistes,
reste toujours premier dans le coeur des amateurs,
30 ans après sa dernière course. Sa
modeste bonhomie tient encore la route sur les écrans
publicitaires alors que la plupart des grands coureurs
sont rangés au rayon des souvenirs.
Pierre Mendes-France, lui, a toujours refusé
de revendiquer la première place après
sa première expérience de Président
du Conseil sous la IVème République,
espérant modestement qu’on le rappelle aux
affaires. Il n’en sera rien mais sa figure ne sera
pas écornée au contraire de ses concurrents.
Balladur bénéficiera d’une popularité
exceptionnelle lorsqu’il sera premier ministre et
reconnaîtra la légitimité de Jacques
Chirac pour l’élection présidentielle.
Mais lorsqu’il aspirera à la première
place, il vascillera.
Ces exemples soulignent la redoutable efficacité
de la position basse. Tout se passe, en effet, comme
si le communicateur placé en position basse
disposait d’un amplificateur alors qu’en position
haute, il était invariablement soupçonné
de mensonge.
L'idéal: la relation complémentaire
Mais la situation que nous avons observé est
relativement simple: c’est celle d’un communicateur
face à son public. La situation peut se compliquer
et dans certains cas la position basse peut déboucher
sur une difficulté. L’exemple de Balladur,
et il y en aurait beaucoup d’autres, amène
une question. A un moment donné cette position
basse risque d’apparaître comme un piège.
En effet, tout le monde n’est pas Jesus Christ ou
Mendes France. Vient un moment où il est compréhensible
de sortir du bois et de revendiquer la première
place, même si on voit bien l’intérêt
de garder cette position basse le plus longtemps possible.
Il est difficile d’admettre que toute ambition serait
illégitime. Ce serait renoncer par avance à
défendre ses intérêts, voire ses
idées ou ses projets. Il est des moments où
il faut bien sortir de la nasse.
Inévitablement on entre dans un cadre plus
conflictuel. C’est alors ce que Paul WATZLAWICK appelle
un échange “symétrique” .
Ici, il est peut-être nécessaire de
préciser le vocabulaire. Pour cela, on se reportera
très simplement au texte de Jacques-Antoine
MALAREWICS (19) : "De la même façon
que les deux plateaux d'une balance peuvent illustrer
les positions haute et basse, l'image de deux
chaises placées l'une en face de l'autre montre
la symétrie alors que placées côte
à côte, ces chaises manifestent la complémentarité".
La position symétrique est une position de
rivalité alors que la position complémentaire
correspond davantage à une position amicale,
voire à une coopération en vue d'un
but commun.
Une attitude délibérément symétrique
pourrait être assimilée à de la
provocation, tandis qu'une attitude complémentaire
se rapprocherait davantage d'un jeu de séduction.
On aura vite compris l'intérêt d'un
comportement complémentaire en terme d'efficacité
pour convaincre. Mais c'est une attitude difficile
à tenir.
Les techniques pour complémentariser une relation
Jacques-Antoine MALAREWICS propose trois "techniques"
classiques pour complémentariser une relation
symétrique. Mais nous en rajouterons une quatrième,
la "technique du pied dans la porte".
- La séduction.
- La triangulation:
l'introduction d'un tiers permets de changer les
conditions d'une relation et de l'aborder ainsi
très différemment.
- La métacomunication:
C'est en quelque sorte l'introduction d'un commentaire
sur le discours. Or celui qui commente se met dans
une position plus confortable.
- La technique du pied
dans la porte: De nombreuses expériences
ont permis de démontrer qu'on obtenait plus
facilement l'engagement d'une personne, si auparavant
on avait réussi à obtenir d'elle un
accord sur un objet sans conséquence. "C'est
à Palo Alto en Californie, que Freedman et
Fraser (1966) réalisèrent les premières
démonstrations expérimentales de l'effet
de pied dans la porte. Ces démonstrations
ont d'autant plus d'intérêt qu'elles
furent menées sur le terrain auprès
d'authentiques ménagères. Dans une
première expérience les chercheurs
avaient pour projet d'inciter des ménagères
à recevoir chez elles, soit-disant dans le
cadre d'une enquête portant sur les habitudes
de consommation des familles américaines,
une équipe de cinq ou six hommes après
les avoir averties, d'abord que l'enquête
était relativement longue (deux heures environ),
ensuite que les enquêteurs devaient avoir
toute liberté pour fouiller dans la maison
afin d'établir la liste complète des
produits de consommation courante s'y trouvant.
Il s'agissait donc là d'une requête
difficilement recevable et, de fait, peu de ménagères
s'y soumirent spontanément (22,2% seulement)
lorsqu'on leur proposa directement de participer
à cette enquête. Le recours à
la technique du pied dans la porte allait permettre
à Freedman et Fraser de doubler doubler le
nombre de ménagères qui acceptèrent
qu'une telle enquête fut conduite chez elles.
La méthode utilisée par ces auteurs
consista à amener dans un premier temps les
ménagères à participer à
une courte enquête téléphonique
(répondre à huit questions sur leurs
habitudes de consommation)? Cet acte peu coûteux
obtenu, il leur suffisait alors de téléphoner
à ces mêmes ménagères
quelques jours plus tard (trois jours plus tard
dans cette expérience) pour leur demander
cette fois d'accepter de recevoir chez elles l'équipe
d'enquêteurs. En procédant ainsi, c'est
à dire en faisant précéder
la requête finale coûteuse par une requête
initiale peu coûteuse (mais concernant le
même type de comportements: participation
à une enquête sur les habitudes de
consommation), Freedman et Fraser parvinrent à
obtenir un taux d'acceptation de 52,8%. De 22,2%
à 52,8%, le gain n'est pas négligeable"
(20). Ces chercheurs amenèrent
même 76% des ménagères sollicitées
à accepter la pose dans leur jardin d'un
panneau publicitaire inesthétique pour la
sécurité routière après
les avoir convaincu simplement dans un premier temps
d'apposer un autocollant pour le même sujet
sur leur voiture. Or le taux d'acceptation du panneau
publicitaire ne fut que de 16,7% chez les ménagères
à qui on n'avait pas proposé de placer
préalablement l'autocollant.
17 - Guide du voyageur perdu dans le dédale
des relations humaines”, de Jacques Antoine
MALAREWICS, collection Communication et
Complexité, Editions ESF, 1992 (
pages 63 & 64).
18 - idem - page 136.
19 - idem - page 75.
20 - petit traité de manipulation
à l'usage des honnêtes gens
- RV JOULE et JL BEAUVOIS - Collection Vies
sociales aux presses universitaires de Grenoble
(octobre 1997