Ethique:
La tentation
de la manipulation
Les gouvernants ne sont pas toujours de parfaits
démocrates!
Les techniques de communications
ont donc parfois une fâcheuse tendance à
voisiner avec celles de manipulation.
Le gouvernement nazi en a fait un usage d'une horreur
sans précédent.
.
Mais des dérives plus
anodines sont elles pour autant acceptables?
A chacun de se faire une idée à partir
des exemples ci-dessous, même si les erreurs
de certains fonctionnaires européens n'ont
évidemment rien à voir avec la machine
hitlérienne.
Les mysteres de l'offre (1)
Tous
les élus n'ont pas la même stratégie
de communication et d'évidence personne ne
détient la recette infaillible. Mais il y a
plusieurs approches possibles, même si elles
sont souvent imbriquées dans la réalité.
Ainsi, Henri de BODINAT (1) rappelle les trois grandes
stratégies du Marketing.
1 La stratégie de domination
a pour but de "s'affranchir autant que possible de
la nécessité de fournir au marché une offre pertinente
à un prix acceptable. Le moyen est de supprimer la
liberté de choix du client" par la voie politique,
juridique, économique. L'objectif est de maintenir
le développement de la domination, d'extraire du client
un revenu maximum et d'obliger le client à être fidèle.
2 La stratégie de séduction,
plus difficile à mettre en oeuvre, plus exigeante,
"consiste à créer dans l'esprit du client une illusion
de valeur qui va le pousser à acheter un produit ou
un service". Elle utilise la distorsion, le clinquant,
la pression. La stratégie de séduction "se concentre
sur la vente et néglige le client une fois la vente
réalisée".
Evidemment, les stratégie de domination et de séduction
s'accompagnent de risques.
3 La stratégie de valeur
consiste à "redéfinir le produit" et à
ne communiquer "sur une promesse que lorsque le produit
est 'à la hauteur' ". "l'entreprise en stratégie de
valeur respecte la liberté et pratique la transparence",
son enjeu est de "délivrer le plus de valeur possible
au moindre coût", en particulier en rognant "sur des
postes n'ayant pas d'impact sur la valeur"
Si l'on veut bien transposer ces catégories
dans le domaine du marketing politique, on ne peut
pas nier que les stratégies de domination et
de séduction connaissent un certain succès.
Elles posent cependant un certain nombre de problèmes
éthiques.
De plus, selon BODINAT, les
organisations les mieux équipées pour survivre et
se développer sont centrées sur la valeur.
(1) " Les mysteres de l'offre " (mars 2007
- Editions Village Mondial). Henri de BODINAT
est vice-président d'Arthur D. Little et professeur
de stratégie au groupe HEC. Co-fondateur d'Actuel,
de Radio Nova et du label Cantos, il a été
PDG de Sony Music, vice-président de Sony
Entertainment Europe, et directeur général
du Club Med. Il est l'auteur de plusieurs
ouvrages, dont Un pavé dans le marketing publié
chez Lattés. Il est HEC et Docteur en Business
Administration de la Harvard Business School.
De l'art de communiquer
Chronique de Guy GEORGES
publiée dans le journal LE MONDE daté
du 29 janvier 1999
.
Des
journalistes ? Amis ou ennemis ? De fond ou
d'investigation ? C'est une note confidentielle
extraordinaire qu'a publiée le quotidien belge
Le Soir, dans son édition datée
du du jeudi 28 janvier (1999). Un monument sur l'art
communicatif de faire le nécessaire tri entre
le bon grain et l'ivraie, entre l'élite et
la lie de l'humanité journalistique.
Ce document émane du
service du porte-parole (SPP) de la Commission européenne
à Bruxelles, service dirigé par
Martine Reicherts et qui regroupe précisément
les vingt porte-parole des vingt commissaires européens.
Au cour d'un intense remue-méninges destiné
à repenser la politique de communication d'une
Commission secouée d'abondance par les récentes
et présumées affaires de fraude, diverses
opinions et stratégies se sont exprimées.
Dont celle-ci, anonyme mais authentique, résumée
sous forme de note interne et qu'on se fait un devoir
de citer ici, tant elle vaut son pesant de cacahuètes.
"Il n'est pas exact," attaque bravement
l'auteur, de dire que les journalistes ont changé
en profondeur. Il existe certes une "prise en mains"
de la salle de presse par des journalistes d'investigation.
Mais il est faux de dire que nous n'avons plus d'amis.
Au contraire: beaucoup de journalistes avouent leur
perplexité devant ce qui arrive; beaucoup désapprouvent
- parfois ouvertement - l'outrance de leurs collègues.
[...]".
Deuxième point donc, la stratégie:
" C'est la raison pour laquelle, au lieu de
développer une stratégie de méfiance
généralisée face à la
presse, nous devons utiliser nos alliés potentiels
pour rétablir un équilibre entre journalistes
de fond et d'investigation. Cette tactique a bien
joué à Strasbourg, au niveau des commissaires
et parlementaires et journalistes [...]. Il faut,
je pense impliquer - et responsabiliser - l'API [Association
professionnelle de la presse internationale] dans
cette évolution. Expliquer que des dérives
ont eu lieu. [...] Lister des exemples de désinformation
manifeste (il y en a beaucoup!). Faire prendre conscience
qu'ils n'ont rien à gagner de cette ambiance
de corrida [...],"
Troisième point, la "tagadatactique" de la
communication: "Il faut réfléchir
sur la notion de "transparence": ne pas être
obnubilé par cette notion, ne pas chercher
à être "plus catholique que le pape".
Une dose de cynisme - et parfois d'hypocrisie - dans
la manière de diffuser l'information est parfois
nécessaire. Vouloir tout expliquer et s'ériger
en modèle d'exhaustivité appelle souvent
de nouvelles interrogations. La surinformation confine
parfois à la désinformation."
D'où quatrième point, la rétorsion,
morceau de bravoure: "Il faut donc apprendre
à geler une partie de l'information dont on
n'est pas tout à fait sûr, ou dont on
sait qu'elle pourrait donner lieu à une mauvaise
interprétation. Face à certains journalistes,
particulièrement retors, il faut malheureusement
se résigner à se faire (provisoirement)
violence."
Ainsi remue-méningea le service communication
! Un pur bonheur ! Sauf évidemment
pour les journalistes de l'API - amis comme ennemis,
la bande à "fond" comme le gang à
"investigation" - qui, d'une seule voix,
ont adressé une lettre de protestation au président
de la Commission.
.
The Fine Art of Propaganda
.
Ce
livre paraît aux États-Unis en 1939.
Pour faire face à la propagande de C.E. Coughlin,
les américains choisissent de dénoncer
les stratagèmes employés.
En effet, l'administration démocrate était
à ce moment là la cible du "Coughlinisme",
du nom d'un prêtre catholique antisémite,
mais aussi anti-bolchévique et anti-capitaliste.
Dans ses "causeries" radiophoniques, il obtient très
vite une forte audience et s'attaque de plus en plus
violemment au président Roosevelt.
Le livre, the Fine Art of Propaganda", identifie les
7 procédés de la propagande utilisés
non seulement par le prêtre mais plus généralement
dans toutes les grandes manipulations de propagande
de l'époque et malheureusement même jusqu'à
nos jours.
- L'épithète
insultante (appel à la peur et à
la haine en étiquetant et en caricaturant);
- La généralisation
attirante (appel à une identification
gratifiante en faisant référence à
l'amour, la générosité et la
fraternité);
- Le transfert (faire
cautionner quelque chose par une valeur ayant du
prestige);
- La recommandation
(faire cautionner quelque chose par une personne
de notoriété);
- Le "bien d'chez nous" (apparaître
le plus naturel et le plus familier possible);
- La carte biseautée
(recours aux mensonges, faux témoignages...);
- Le "volons au secours de
la victoire" (entretenir le climat du "faites
comme tout le monde").
MEIN KAMPF
La
page ci-dessous est extraite de l'ouvrage de Jean-Jacques
CHEVALLIER "Les grandes oeuvres politiques, de Machiavel
à nos jours" (Armand Colin - collection U -
1974).
Propagande. - La question de la propagande avait
toujours passionné HITLER. L'habileté
consommée des marxistes de Vienne l'avait beaucoup
frappé. LENINE, d'ailleurs, dans ses divers
écrits et discours n'a-t-il pas mis parfaitement
au point la propagande à l'égard des
masses ? Mais la propagande de guerre anglaise, de
1914 à 1918, si méthodique, si sûre
psychologiquement, par comparaison avec la propagande
allemande - enfantine et maladroite, à en croire
HITLER - fut pour celui-ci une révélation.
la propagande politique de style fasciste lui apporte
certainement des suggestions supplémentaires.
Toujours est-il que les pages de Mein Kampf consacrées
dans le premier volume, à propos de la guerre
de 1914, puis de la conquête des masses par
le Parti nazi, à la propagande en général,
sont parmi les plus connues du livre; et l'auteur,
de l'aveu même de tel de ses ennemis mortels,
les aurait tirées vraiment de son propre fond.
Trouvons-les ici résumées:
D'abord la propagande d'un peuple qui lutte pour
son existence ne doit s'embarrasser d'aucune considération
d'humanité ni de bonne foi intellectuelle.
Si la première question touchant la propagande
est celle de savoir si elle est "un moyen ou un
but", la réponse n'est pas douteuse: nous
sommes en présence d'un moyen, qui doit être
jugé en fonction du but. Si ce but est le combat
pour l'existence, "les armes les plus cruelles"
deviennent "les plus humaines", car elles sont
la condition d'une victoire plus rapide, et elles
aident à assurer à la nation "la
dignité de la liberté". Le respect
de la vérité ? "Le levier le plus
puissant des révolutions a été
de tout temps un fanatisme qui fouette l'âme
de la foule et la pousse en avant, fût-ce avec
une violence hystérique,
non la connaissance objective de vérités
scientifiques".
A qui - seconde question - doit s'adresser la propagande
? Aux masses, on le sait: à "l'homme-masse",
à "l'homme-foule", pour forger en sa
conscience obscure des convictions inébranlables
- non pas à "l'homme-individu". Donc
toute propagande doit être populaire et adapter
ses arguments aux plus simples de ceux qui composent
le public. Plus elle touchera un grand nombre d'individus,
plus devra être bas son niveau intellectuel.
Ce qu'elle recherche est l'efficacité, non
la satisfaction d'une poignée d'esthètes
ou d'érudits. Aussi ne s'adresse-t-elle pas
au cerveau qu'aux sentiments de la foule. Ces sentiments
sont simples: elle est pour
ou elle est contre;
toute solution moyenne lui échappe; l'objectivité,
l'impartialité sont à ses yeux faiblesse.
Les clés qui ouvrent les portes de son coeur
sont "la volonté et la force". La grande
masse, comme la nature dont elle n'est qu'un "fragment"
veut la victoire du plus fort et la défaite
du plus faible, ou du moins "sa soumission absolue".
Quel doit être - dernière question -
le contenu de la propagande ? Franchement unilatéral
et sans diversité aucune. Il est vain de prétendre
toucher des milieux différents; c'est risquer
d'être incompris de tous; n'est efficace que
la propagande qui s'exerce "dans une direction
unique". La force d'expansion du marxisme reposait
surtout sur "l'unité et par suite la manière
d'être uniforme du public auquel elle s'adressait".
Si la propagande nazie a réussi, c'est qu'elle
s'est concentrée sur la clientèle même
du marxisme, sur les "antinationaux". Si elle
a choisi la couleur rouge pour ses affiches, pour
le fond du drapeau, pour ses draperies, c'est à
dessein: le rouge est la couleur même de l'ennemi,
et de plus a des effets sensoriels considérables
sur les foules et sur les femmes. Epouvante des bourgeois,
panique "de ces stupides bourgeois en peau de lapin"
quand ils virent ces "nationaux" qui déjà
s'intitulaient "socialistes", adopter le rouge
des bolcheviks ! Voilà de la propagande centrée
comme il fallait!
En
savoir plus
Le Prince
de Nicolas MACHIAVEL
Le prince Laurent de Médicis, à qui
l'ouvrage était destiné n'y a prêté
aucune attention. Rousseau par contre y a vu une intention
secrète. Il écrit dans le Contrat social:
"en feignant de donner des leçons aux rois,
Machivel en a donné de grandes aux peuples"
et son livre "est le livre des républicains".
Mais cette explication est fausse nous dit le professeur
Jean-Jacques CHEVALLIER (Les grandes oeuvres politiques,
de Machiavel à nos jours).
D'autres ne s'y sont pas trompés. NAPOLEON
III, MUSSOLINI et STALINE ont longuement consulté
l'ouvrage. On aurait pu croire que le machiavélisme
avait subi de sérieux revers en cette fin de
siècle, or si l'on feuillette ses pages, on
voit bien qu'il a laissé bien des traces.
La page ci-dessous est extraite de l'ouvrage de Jean-Jacques
CHEVALLIER "Les grandes oeuvres politiques, de Machiavel
à nos jours" (Armand Colin - collection U -
1974).
...Il serait bon pour un prince d' être
réputé libéral, généreux
; cependant être parcimonieux est un de ces
vices qui font régner. Les libéralités
aboutissen à gagner au prince bien peu d'individus,
et à en dresser contre lui un très grand
nombre, à le rendre odieux à ses sujets
: et finalement, appauvri, il perd leur considération.
De même "tout prince doit désirer d'être
réputé clément et non cruel"
; mais qu'on prenne garde d'user de clémence
mal à propos ; qu'on se souvienne de César
Borgia, il " passait pour cruel " (dit, sans sourciller,
Machiavel), "mais sa cruauté rétablit
l' ordre et l'union en Romagne". Cruauté bénie,
si elle tue dans l' oeuf les désordres, gros
de meurtres et de rapines, que trop de pitié
eût laissé s'élever ! "Ces désordres
blessent la société tout entière,
tandis que les rigueurs ordonnées par le prince
ne tombent que sur des particuliers " : protéger
d' abord la société, voilà où
git la vraie clémence d'Etat (Richelieu pensera
de même et l'écrira dans le Testament.)
De là naît cette question classique
: s' il vaut mieux être aimé que craint
ou craint qu' aimé ?
Le meilleur serait d'être l'un et l'autre,
mais c'est difficile. Alors il est plus sûr
d' être craint. Pourquoi ? Il y a plusieurs
raisons à cela. D' abord les hommes généralement
"sont ingrats, inconstants, dissimulés, tremblants
devant les dangers et avides de gains ; tant que vous
leur faites du bien, ils sont à vous ; ils
vous oflrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs
enfants, tant que le péril ne s' offre que
dans l'éloignement, mais lorsqu'il s'approche,
ils se détournent bien vite ". Malheur au prince
qui se serait reposé uniquement sur toutes
ces amitiés payées par des largesses,
il "serait bientôt perdu" ! Et puis les hommes
appréhendent beaucoup moins d'offenser celui
qui se fait aimer que celui qui se fait craindre;
le lien d' amour, ils le rompent au gré de
leur intérêt, alors que leur crainte
demeure soutenue par une peur du châtiment qui
ne les quitte jamais. Enfin il ne dépend point
du prince d'être aimé, les hommes "aiment
à leur gré"; mais il dépend de
lui d' être craint, les hommes "craignent
au gré du prince". Or un prince sage doit se
fonder, non sur ce qui dépend d' autrui, mais
sur ce qui dépend de lui-même.
Etre craint, d'ailleurs, ne signifie nullement être
haî; la haine des sujets - comme leur
mépris - est chose grave ; il ne faut pas l'
encourir. car toutes Ies forteresses que le prince
haî pourra avoir contre ses sujets ne le sauveront
pas de leurs conjurations (comme tout Florentin, Machiavel
est hanté par les conjurations). Il est une
recette simple, pour éviter cette haine, c'est
de "s'abstenir d'attenter soit aux biens de ses sujets,
soit à l'honneur de leurs femmes."
Et-quoi de plus louable enfin pour un prince que
d'être fidèle à sa parole, et
d'agir toujours franchement ! Mais, dans la réalité
que voit-on ? Des princes qui ont fait de grandes
choses en violant leur foi, en imposant aux hommes
par la ruse, et qui ont fini par dominer ceux qui
se fondaient sur la loyauté. C'est sur cette
observation désabusée que Machiavel
construit ce chapitre XVlll tComment les princes doivent
tenir leur parole), qui lui sera tout particulièrement
reproché, qui apparaîtra plus que l'
essence, la "quintessence" même du machiavélisme,
et qui sera lu plus attentivement que tous les autres
par les politiques avides de succès diplomatiques.
Machiavel a éprouvé ici le besoin,
rare chez lui, d'habiller sa pensée crue et
nue, de la draper à l'antique, dans un
mythe séduisant à l'imagination. Il
a choisi le mythe d' Achille et du centaure Chiron.
Achille, raconte-t-on, eut pour précepteur
Chiron, demi-cheval et demi-homme. Les Anciens voulaient
signifier par-là qu'il est nécessaire
à un prince d' agir en bête tout autant
qu' en homme. Le propre de l'homme est de combattre
par les lois, régulièrement, avec loyauté
et fidélité. Le propre de la bête
est de combattre par la force et par la ruse. La manière
purement humaine ne suffit pas ; l'homme est souvent
oblig‚ d'user de la manière de la bête.
Le prince accompli, armé pour la lutte, dont
Achille est le type, doit posséder en quelque
sorte ces deux natures, homme et bête, dont
l'une est soutenue par l' autre. Et entre les bêtes
le prince doit en choisir deux comme modèles,
le renard et le lion. Il doit "tâcher d' être
tout à la fois renard et lion, car, s'il n'
est que lion, il n' apercevra point les pièges
;
s'il n' est que renard, il ne se défendra point
contre les loups ; or il a également besoin
d' être renard pour connaître les pièges,
et lion pour épouvanter les loups"
C'est ainsi qu'en matière de promesses, d'engagements,
le prince doit être renard, c' est-à-dire
ne pas observer la foi lorsque l' observer tournerait
contre lui, et qu' ont disparu les raisons qui lui
avaient fait promettre. "Si les hommes étaient
tous bons, ce précepte ne serait pas bon, mais
comme ils sont mauvais, et comme ils n'observeraient
pas leur parole envers toi, toi non plus tu n' as
pas à l' observer envers eux." Peut-on d' ailleurs,
quand on est prince, "manquer de raisons légitimes
pour colorer l'inexécution" de ce qu'on a promis
? Infini est ici le nombre d'exemples modernes à
citer, le nombre de traités de paix, d'accords
de toute espèce, "devenus vains et inutiles
par l'infidélité des princes qui les
avaient conclus". Les princes qui ont su le mieux
agir en renards sont ceux qui ont le plus prospéré.
A une condition cependant, c'est qu'ils aient bien
déguisé cette nature de renards, qu'ils
aient possédé parfaitement l' art de
simuler et dissimuler. Dissimuler, prospérer...
Machiavel, avec la double allégresse du cynique
à dénuder la nature humaine, et de l'artiste
à se sentir maître absolu de sa matière,
met alors les touches suprêmes et les plus savantes
à son portrait du prince. Il peint la vertu
du paraître, du faire-croire, de l'hypocrisie,
la toute-puissance du résultat. Sa pensée
intime, qu'il avait commencé de nous dévoiler
au chapitre xv, finit de nous livrer, dans la seconde
moitié du chapitre XVIII, ses durs secrets.
Il faut citer ici le texte intégral, tout commentaire
l' affadirait.
Vertu du paraître, du faire-croire, de l'hypocrisie
:
Pour en revenir aux bonnes qualités énoncées
ci-dessus, il n'est pas bien nécessaire qu'un
prince les possède toutes, mais il l'est qu'il
paraisse les avoir. J'ose même dire que, s'il
les avait effectivement, et s'il les montrait toujours
dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu
qu'il lui est toujours utile d' en avoir l' apparence.
Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître
clément, fidèle, humain, religieux,
sincère... On doit bien comprendre qu'il n'
est pas possible à un prince et surtout à
un prince nouveau d' observer dans sa conduite tout
ce qui fait que les hommes sont réputés
gens de bien, et qu'il est souvent obligé,
pour maintenir l'Etat, d'agir contre l'humanité,
contre la charité, contre la religion meme.
Il faut donc qu'il ait l'esprit assez flexible pour
se tourner à toutes choses, selon que le vent
et les accidents de la fortune le commandent ; il
faut, comme je l'ai dit, que, tant qu'il le
peut., il ne s'écarte pas de la voie du bien,
mais qu' au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Il doit aussl prendre grand soin de ne pas laisser
échapper une seule parole qui ne respire
les cinq qualités que je viens de nommer ;
en sorte qu'à le voir et à l'entendre
on le croie tout plein de douceur, de sincérité,
d'humanité, d'honneur, et principalement de
religion, qui est encore ce dont il importe le plus
d'avoir l'apparence ; car les hommes en général
jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous
étant à portée de voir et peu
de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez,
peu connaissent à fond ce que vous êtes,
et ce pelil nombre n'osera point s'élever conlre
l'opinion de la majorité, soutenue encore par
la majesté du pouvoir souverain.
Toute-puissance du résultat :
Au surplus, dans les actions des hommes et surtout
des princes, qui ne peuvent être scrutées
devant un tribunal, ce que l' on considère
c' est le résultat. Que le prince songe donc
uniquement à conserver sa vie et son Etat ;
s'il y réussit, tous les moyens qu'il aura
pris seront jugés honorables et loués
par tout le monde ; le vulgaire est toujours séduit
par l'apparence et par l' évènement
: et le vulgaire ne fait-il pas le monde ?
L'actualité apporte régulièrement
des compléments sur ces questions
Libération 10 octobre 2001
"Un
bon expert en communication doit avoir l'esprit d'à-propos.
Moins d'une heure après que les deux avions se sont
écrasés sur le World Trade Center, le 11 septembre,
Jo Moore, une conseillère du ministre britannique
des Transports, a envoyé un e-mail à ses supérieurs:
«Sujet: relation avec les médias. C'est un très bon
jour pour ressortir tout ce qu'on veut faire passer
en douce.» Le message, publié hier par deux quotidiens
de Londres, embarrasse le gouvernement, souvent accusé
de manipuler l'opinion avec son armée de spin doctors,
littéralement «raconteurs d'histoires». La coupable
a dû présenter hier ses excuses."
Le Monde 29 Septembre 2001
A propos de la "feuille de route" retrouvée
dans les bagages des kamikazes du World Trade Center,
le Docteur Jean-Marie Abgrall, psychiatre et criminologue,
expert auprès de la Cour de cassation met en evidence
les techniques de manipulation dans les règles
énoncées:
"Assure-toi de bien connaître tous les détails
du plan, et attends-toi à la riposte, à une réaction
de l'ennemi. "Lis Al-Tawba et Anfal, les chapitres
guerriers traditionnels du Coran, réfléchis à leur
signification et pense à tout ce que Dieu a promis
aux martyrs. (...) "Prie pendant la nuit et persévère
à demander à Dieu de te donner la victoire, le contrôle
et la conquête, et de te rendre la tâche plus facile
et de ne pas nous démasquer. "Pense à Dieu souvent,
et la meilleure manière de le faire est, selon tous
les érudits pour autant que je sache, de lire de Saint
Coran. Il nous suffit qu'il (le Coran) soit la parole
du Créateur de la Terre et des végétaux, Celui que
tu connaîtras le jour du Jugement. "Purifie ton âme
de tout ce qui est souillure. Oublie complètement
ce qu'on appelle "ce monde-ci", la vie ici-bas. L'heure
du jeu n'est plus, l'heure grave est sur nous. Combien
de temps avons-nous perdu dans notre vie ? Ne faut-il
pas profiter de ces dernières heures pour accomplir
de bonnes actions et obéir ?"
Jean Marie Abgrall commente: "Nous sommes en
présence d'un processus de conditionnement opérant,
destiné à déclencher un mécanisme presque pavlovien.
Je pense qu'il y a eu vraisemblablement des répétitions
préalables, un jeu symbolique. C'est comme ça que
j'interprète la formule "l'heure du jeu n'est plus".
Le conditionnement s'est effectué à deux niveaux :
un protocole guerrier ("affûter le couteau") et un
protocole mystique (réciter les sourates du Coran).
Le texte décrit toute une série de rituels secondaires
qui mécanisent l'action et sont destinés à perdre
le terroriste dans les détails, pour lui éviter de
commettre une erreur tactique et empêcher l'anxiété."
Pour aller plus loin dans la réflexion...
"OPINION. Information, rumeur, propagande"
C'était le thème des débats des 10e
Rendez-vous de l’histoire qui se sont déroulées
à BLOIS du 19 au 21 octobre 2007. D’hier
à aujourd’hui, quel est le rôle de l’information,
des médias, mais aussi des rumeurs dans la constitution
et les transformations de l’opinion ? Quel est celui
des formes de contrôle et d’influence sur l’opinion,
propagande et censure, manipulation et désinformation
? Quels imaginaires collectifs révèlent-ils selon
les époques et les sociétés ? Historiens, sociologues,
politistes, journalistes, sondeurs, communicants
sont venus débattre de ces sujets qui sont
au coeur de nos métiers.
Parmi les intervenants:Rony Brauman, Cabu, Jacques
Chancel, , Michèle Cotta, Edith Cresson, Michel
del Castillo, Marc Ferro, Jean-Daniel Flaysakier,
Irène Frain, Henri Guaino, Robert Guédiguian, Elisabeth
Guigou, Emmanuel Hoog, Jean-Noël Jeanneney, Jacques
Julliard, Jean-François Kahn, Emmanuel Le Roy Ladurie,
Philippe Meirieu,Frédéric Mitterrand, Edgar Morin,
Catherine Nay, Pascal Perrineau, Jean-Luc Parodi,
Pierre Péan, Gilles Perrault, Jacques Séguéla,Jean-François
Sirinelli, Christiane Taubira, Emmanuel Todd, Philippe
Val, Hubert Védrine, Simone Veil, Michel Winock,
Dominique Wolton et bien d'autres...
Les conférences et les débats ont
été filmés et sont accessibles
en ligne.
Voir
Et pour sourire...
Un Rêve tchèque
Ce documentaire montre comment réussir une manipulation
parfaite: parvenir à attirer près de 4000 personnes
pour l'inauguration d'un supermarché qui n'existe
pas. "Des publicitaires, une sociologue du comportement
des consommateurs, des experts en marketing ont accepté
de bosser sur ce projet.
C'est le projet de deux étudiants en cinéma qui montent
ce canular. En effet ans la république tchèque post-communiste,
les habitants n'ont qu'une envie : consommer. La campagne
de publicité fait venir plusieurs miliers de personnes
devant une simple bâche représentant un supermarché
et leur renvoyant la question sur leurs besoins de
consommation.
Le film fut récupéré lors du débat sur l'entrée de
la République tchèque dans l'Europe. Un parallèle
a été fait avec la campagne de communication du gouvernement
de 2004 pour le réferendum sur l'adhésion à l'Union
Européenne, qui était alors en cours.
En
savoir plus
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