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Relais et leaders d'opinion
De
nombreuses études ont analysé aux Etats Unis les processus de
transmission des informations ainsi que les mécanismes qui amènent les
individus à construire leur opinion sur des sujets divers.
Il s'agissait notamment au départ de vérifier l'impact supposé important des moyens de communication de masse.
Le résultat montre qu'on est très loin d'une image où une multitude
d'individus seraient exposés directement et sans filtre à un
mitraillage à sens unique d'informations et d'idées.
On constate en réalité que les personnes fondent leur opinions sur des
informations qui leur sont transmises non pas par les médias mais par
d'autres personnes qu'on appellera "leaders" ou "relais" d'opinion.
C'est à dire qu'une information ne va apparaître comme "utilisable" par
des personnes que
dès lors qu'elle sera retransmise par quelqu'un de relativement "proche".
Cette théorie, qu'on doit à Paul Félix LAZARSFELD, s'est construite à partir de trois études:
1 - "The people's choice" sous la direction de LAZARSFELD, concernant les élections présidentielles américaines de 1940.
2 - "Mass persuasion" de MERTON à propos de l'influence d'un journal hebdomadaire.
3 - "Personal influence" de KATZ et LAZARSFELD pour un groupe de 800 femmes à propos de cinéma, mode, actualité etc...
1. The people's choice
Cette étude (1) fut menée lors de
la campagne présidentielle américaine
de 1940 qui opposait le candidat démocrate
ROOSEVELT au candidat républicain , WILKIE.
Les chercheurs avaient l'objectif
de définir les différents facteurs
décisifs dans le choix des électeurs.
L'endroit choisi pour l'étude fut le comté
d'Erie, dans l'Etat d'Ohio, une région typiquement
américaine, représentative de la nation
au niveau des votes des élections présidentielles
précédentes. Les chercheurs ont privilégié
dans leur travail les canaux des médias et
tout particulièrement celui de la radio.
En effet, la campagne a bénéficié
d'une place très importante à la radio
et il est à noter que l'étude fut
réalisée avant l'implantation de la
télévision.
Contrairement à l'attente, il est apparu
que la campagne eut très peu d'influence
sur l'intention de vote des électeurs.
En effet, les chercheurs ont pu constater que les
individus qui appartiennent au même milieu
socio-culturel et partagent plus ou moins les mêmes
pratiques ont une forte propension à se comporter
d'une manière similaire lors de vote. Toutefois,
cela ne voulait pas dire que la campagne n'avait
aucun effet ou même qu'elle n'avait pas réussi
à convertir des électeurs. Mais la
découverte essentielle fut que l'impact fondamental
de la campagne a été le renforcement
de l'intention "originale" chez les uns et l'activation
des prédispositions latentes chez les autres.
Ainsi ont ils souligné
l'effet relatif des médias et ont mis l'accent
sur l'importance des contacts personnels, c'est
à dire qu'ils ont attiré l'attention
sur le fait que le processus de communication n'est
pas vertical, venant du haut vers le bas, mais plutôt
horizontal. Il est apparu pour la première
fois le "leader d'opinion" et son rôle dans
le processus de la communication.
Le succès incontestable de "People's Choice"
a ouvert la voie à maintes études
qui ont confirmé ces conclusions dans les
années suivantes.
2. Mass persuasion
MERTON
(2) voulait connaitre les modèles d'influence
dans une communauté.
Au départ, il s'agissait d'étudier
les fonctions remplies par un hebdomadaire national
auprès des lecteurs. Le lieu d'investigation
fut une petite ville dans le New Jersey, Rover.
Or, il est apparu que cet hebdomadaire était
utilisé de manière très différente
par ses lecteurs en fonction de leur degré
d'influence dans leur ville. Au cours des interviews
les chercheurs ont fait d'étonnantes découvertes
qui ont élargi la connaissance sur le leader
d'opinion et sur le lien entre lui et la communication
de masse.
Afin de localiser les personnes influentes, MERTON
demandait aux sujets interwievés de désigner
les gens auxquels ils s'adressent pour obtenir une
information ou un conseil sur un certain nombre
de questions. Quelques centaines de noms ont été
donnés, dont quelques douzaines furent mentionnés
à plusieurs reprises. Les personnes désigées
quatres fois ou plus furent considérées
comme influentes ou leaders.
Finalement, il est apparu que que le concept "influent"
n'est pas de valeur discriminatoire. Il existe différents
types d'influent. Ils en ont trouvé deux
sortes, particulièrement importantes dans
la communauté étudiée: le "leader
local", qui s'interessait essentiellement aux problèmes
locaux, et le "leader cosmopolite", considéré
comme expert dans les problèmes dits extérieurs.
Les deux types de leaders avaient un comportement
de consommation de média différent.
Si tous les deux étaient de grands consommateurs
de médias, le premier consommait surtout
les moyens decommunication de masse locaux, tandis
que le "cosmopolite" était surtout intéressé
par les produits de communication nationaux.
Par conséquent, les chercheurs ont conclu
que ce ne sont pas les
mêmes personnes qui sont considérées
comme influentes dans tous les domaines, et le comportement
communicationnel des leaders est relatif à
leur centre d'intérêt.
Notre connaissance sur le leadership, sur le lien
de communication interpersonnelle et de masse a
avancé encore avec l'étude réalisée
par KATZ et LAZARSFELD (3) en 1946, auprès
de 800 femmes à Decatur, en Etat de l'Illinois,
une ville de 60 000 habitants. Cette étude
fut publiée en 1955 sous le titre de "Personal
Influence".
Les chercheurs se sont particulièrement
intéressés à déterminer
l'impact de l'influence personnelle par rapport
à l'impact des médias, au niveau de
la décision, dans quatre domaines différents:
marketing, mode, affaires publiques et cinéma.
Il est apparu que le contact
personnel joue nettement plus que les médias
dans la décision des femmes. En effet, les
conversations apparaissent dans les enquêtes
comme un élément décisif plus
souvent que le contact avec n'importe quel moyen
de diffusion collective.
Mais il n'existe guère
d'individus ayant dans ces matières une autorité
générale. En revanche plus
de quatre personnes sur dix exercent autour d'elles
quelque influence, dans des conditions qui dépendent
spécifiquement du thème concerné:
par exemple, les femmes mariées sont plus
demandées comme conseillères dans
les domaines relatifs au ménage. Dans le
domaine de la mode, ce sont surtout les jeunes,
et surtout les jeunes célibataires du sexe
féminin, qui ont le plus d'influence. Quand
il s'agit de l'actualité, les moins jeunes,
et particulièrement les hommes d'un certain
âge sont ceux qui agissent le plus sur les
opinions de leur entourage.
De cette étude, ressortait la certitude
que le contenu de la communication touche l'audience
d'une
manière indirecte, à travers les médiateurs,
mais il est possible, ont conclu les chercheurs,
qu'il existe plusieurs étapes. Les leaders
d'opinion eux-mêmes quelquefois, demandent
l'opinion ou le conseil d'autrui. La conclusion
de l'étude réalisée auparavant
par LAZARSFELD, BERELSON et GAUDET, à savoir
que les leaders sont généralement
de grands consommateurs de média,
semblait encore une fois corroborée par
l'étude.
Finalement l'étude a conclu que le choix
des personnes comme leaders d'opinion doit être
expliqué, non seulement en termes démographiques
(statut social, sexe, âge, etc.) mais aussi
en fonction de la structure et des valeurs des groupes
auxquels appartiennent le conseiller et celui qui
le sollicite.
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Personal influence enfin
traduit en français (2008)
Plus de cinquante ans après sa publication
en anglais, "Personal Influence",
l'un des ouvrages les plus cités des études
sociologiques sur les médias et la communication
vient d'être traduit en Français.
Ce texte d'Elihu Katz et Paul L. Lazarsfeld
rapportait l'expérimentation de l'hypothèse
scientifique toujours vivace, celle des
"effets limités" des médias sur l'opinion
et c'est pourquoi nous lui avions consacré
un châpitre
sur mbao.
Si cette traduction a tant tardé,
c'est qu'en 1963, dans un célèbre article
des Temps modernes, Pierre Bourdieu et Jean-Claude
Passeron avaient jeté l'opprobre sur toute
sociologie des médias qui ne prendrait pas
en compte "l'habitus" de classe. Cet article
visait, certes, au premier rang, l'essayisme
de ceux qui s'improvisaient prophètes de
la modernité médiatique. Mais il pouvait
aussi se lire comme une attaque contre l'empirisme
de Lazarsfeld et l'utopie d'une science
objective des médias et de leurs effets
sur les individus. Pendant plus de quarante
ans, la sociologie française - prudente
- s'était alors éloignée de l'objet "médias".
Ni le développement international des études
empiriques sur la communication de masse,
ni le tournant pris par les cultural studies
dans le monde anglo-saxon ne l'atteignirent
vraiment.
Avec la parution d'Influence personnelle,
c'est donc une parenthèse dans l'histoire
de cette discipline qui se referme.
INFLUENCE PERSONNELLE: CE QUE LES
GENS FONT DES MÉDIAS d'Elihu Katz et
Paul L. Lazarsfeld. Nouvelle préface
d'Elihu Katz. Traduit de l'anglais (Etats-Unis)
et postfacé par Daniel Cefaï, avant-propos
d'Eric Maigret. Armand Colin/INA, "Médiacultures",
416 p., 38 €.
Voir
l'article de Gilles Bastin consacré
à cet ouvrage dans Le Monde des Livres
(Archive payante)
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